2020 06 27 2020 06 27 Niah boat 2

Canoës en bois in situ, grottes de Niah, Bornéo. Heinrich Harrer, Borneo, Man, and Culture since the Stone Age, Penguin Publishers, 1988

PIROGUES DE LA GROTTE DE NIAH

   Tom Harrisson (....) pense que ces "canots" sont en fait des restes d'ossuaires

Le complexe de la grotte de Niah, dans le nord de l'État de Sarawak, en Malaisie, a produit une multitude de matériaux archéologiques permettant de mieux comprendre les premiers habitants de l’île de Bornéo. La plupart des découvertes se rapportent aux populations pré-austronésiens qui auraient utilisé ces grottes depuis au moins 25000 ans. Toutefois, quelques objets en bois ont été trouvés dans une section connue appelée « Grotte peinte » et il est probable qu'ils aient été fabriqués par les Austronésiens. Les datations au 14C indiquent une ancienneté d’environ 900 à 1200 ans pour ces artefacts en bois en forme de pirogue (fig. 38). Tom Harrisson, qui a entrepris des travaux archéologiques approfondis dans les grottes de Niah, pense que ces « embarcations » sont en fait des restes d'ossuaires contenant les os ou les cendres d'ancêtres décédés bien qu’aucun groupe spécifique n’ait été identifié comme les créateurs de ces objets. Pendant de nombreuses années, en raison de la mauvaise qualité des photos publiées, il était difficile de distinguer des détails stylistiques importants sur ces objets. La plupart des photographies montre un empilement d'éléments en bois, en forme de bateau, cassés, avec peu ou pas de motifs décoratifs. Cependant, sur quelques unes, il est possible de distinguer, sur plusieurs bateaux, une petite tête animalière à la proue, précédant une cavité triangulaire et une entaille crantée courant sur les flancs.

  Il est probable que ces pièces ont été récupérées dans la boue d’une rivière, mais les détails de ces découvertes ne sont pas connus

Les seuls objets connus d'un style similaire sont quatre objets en bois Dayak qui semblent être soit des proues de pirogues, soit des faiteaux (fig. 39). Ils possèdent en effet une tête d'animal prolongeant une excroissance rainurée en forme de « V » avec des côtés crantés. Ces exemplaires ne sont pas des pirogues complètes, mais simplement leurs extrémités et il est probable qu’ils aient été découpés et séparés d’un support originel de plus grande taille. Notons que les datations 14C d’au moins deux de ces quatre figures de proues les situent aux environs de 900 à 1 000 ans BP. Il est probable que ces pièces aient été récupérées dans la boue d’une rivière, mais les détails de ces découvertes ne sont pas connus. Par leurs similitudes stylistiques et la proximité de leur ancienneté, il est bien possible que ces quatre « figures de proues » soient apparentées aux objets trouvés dans les grottes de Niah. Néanmoins, par le simple fait que les exemplaires de Niah aient été trouvés dans une grotte alors que les exemplaires de même style (fig. 39) auraient été récupérés dans la boue d’une rivière, sans savoir si elle appartient, géographiquement parlant, à la même région, la comparaison demeure incertaine. Quoi qu'il en soit, la question de savoir qui a sculpté les exemplaires de la grotte de Niah ou ceux en provenance du lit d’une rivière, reste ouverte. Heureusement, un nouvel indice apporte peut-être un nouvel éclairage sur ce sujet. Une exposition récente au Heritage Museum de Kuching, dans l'État de Sarawak, en Malaisie, a présenté deux des bateaux provenant des grottes de Niah. Le premier d'entre eux, brisé et sans aucune ornementation, est un exemplaire typique en forme de pirogue. Heureusement, le second, lui, livre beaucoup plus de détails sculptés (fig. 40). L’un deux en particulier est clairement une tête d'animal semblable à un dragon possédant quatre crocs dénudés, un corps en forme de canoë et une queue à son extrémité. La forme générale, ainsi que la tête et la queue, ressemblent assurément aux têtes de dragon à quatre crocs Kayan, mais au cours de l’histoire, d'autres groupes Dayak sont connus pour avoir également sculptés des gueules d'animaux à quatre crocs. Les figures de tigres, visibles sur les poteaux de sacrifice Ot Danum/Nagju, ne sont qu'un exemple parmi d’autres. On peut imaginer que ces tribus aient adapté certaines images de base Kayan lors de contacts dans le bassin de la Mahakam, mais il est tout aussi possible que l'inverse soit vrai.

  ...il est donc fort probable que la grotte de Niah soit l'un des plus anciens sites archéologiques connus contenant des objets Kayan

Jusqu'à ce que cette embarcation ornementée puisse être examinée de près, la possibilité que les pirogues en bois trouvées dans les grottes de Niah puissent être des objets Kayan n'était pas très considérée. Outre le fait que la ressemblance stylistique soit évidente, la chronologie, l'emplacement et le placement des objets rendent cette hypothèse probable. Premièrement, les grottes de Niah sont situées à proximité du bassin de la rivière Baram, la première région d’occupation du peuple Kayan à Bornéo. Deuxièmement, l'ancienneté de ces pirogues comprise entre 900 et 1200 ans, correspond au moment pendant lequel le peuple Kayan a probablement pénétré cette zone. Troisièmement, les Kayan sont connus pour placer des objets funéraires et des sanctuaires à l'intérieur de grottes. Jusqu’à ce que des informations contradictoires ne soient mises en lumière, il est donc fort probable que la grotte de Niah soit l'un des plus anciens sites archéologiques connus contenant des objets Kayan. En supposant que cette relation puisse être établie, ces nouvelles informations suggèrent que les quatre objets de style apparenté, et mentionnés plus haut, soient également des objets Kayan anciens.


Mark Johnson