À PROPOS DES DATATIONS AU CARBONE 14

"Je voudrais faire quelques commentaires au sujet des datations au C14, particulièrement celles qui concernent les sculptures en bois en provenance de l'île de Bornéo, car il y a, à ce sujet, un vif débat . Les datations au C14 sont importantes pour comprendre la pré-histoire de l'art Dayak et son évolution, et c’est pourquoi je pense qu’il est prudent d’ajouter ma voix à cette discussion. Voici mes réponses aux questions que j'entends le plus souvent, que ce soit de la part de personnes sceptiques ou de simples curieux." .

Traduction de l’article de Mark Johnson, publié le 16 Octobre 2013 sur le blog The Tribal Beat.

Est-ce que la datation au C14 est véritablement une technique scientifique?

   La méthode de datation au C14 est un processus scientifique accepté par l’ensemble de la communauté scientifique internationale et utilisé depuis les années 1950 par de nombreuses disciplines universitaires comme l'une des principales méthodes pour estimer l'âge des matières organiques.

La méthode de datation au C14 est un processus scientifique accepté par l’ensemble de la communauté scientifique internationale et utilisé depuis les années 1950 par de nombreuses disciplines universitaires comme l'une des principales méthodes pour estimer l'âge des matières organiques. Quand un organisme vivant meurt, il cesse d’accumuler du C14 et celui-ci commence à se désintégrer. Autrement dit, le processus mesure la différence entre les quantités de C14 contenu par un organisme vivant et combien en contient l’échantillon prélevé après sa mort. Le résultat donne une estimation du temps écoulé depuis la mort de l'organisme. Le processus ne révèle pas une date précise mais fournit une plage de dates assez précise, en particulier sur les objets de plus de quelques centaines d'années. Il peut aussi mesurer le carbone produit par les essais d'armes atomiques à partir de 1950. Les résultats antérieurs à 1650, c.-à-d. avant la révolution industrielle et postérieurs à 1950, c.-à-d. les débuts des essais aériens atomiques, sont raisonnablement précis. Entre ces deux dates, environ 300 ans, cette période connait certains problèmes de précision en raison de l'introduction de quantités massives de carbone artificiel dans l’atmosphère dues à la combustion de charbon et autres combustibles fossiles qui peuvent fausser les résultats, et donne souvent plusieurs plages de dates. Ces résultats nécessitent toutefois un examen approfondi et d'autres recherches pour déterminer des estimations d'âge probables. Ce processus simple est fondé sur un principe scientifique réel. Il y a, bien sûr, quelques limitations, mais utilisés convenablement les résultats sont corrects et instructifs.

Est-ce que différents laboratoires produisent des résultats similaires?

   Nous réalisons également des mesures en utilisant des standards connus (certains sont internationaux et certains nous sont spécifiques) qui sont traitées de la même manière que l'échantillon inconnu de nos clients.

J'ai interrogé Mike Sim du Rafters Radiocarbon Laboratory en Nouvelle-Zélande et voici ce qu'il a répondu:«Ce que nous faisons, au Rafters Radiocarbon Laboratory, avec d’autres laboratoires réputés, c’est de participer à des tests cycliques internationaux, où tous les laboratoires analysent les mêmes échantillons. Nous les traitons et les les mesurons puis nous présentons les résultats à une personne indépendante qui rassemble et détermine les données consensuelles et comment chaque laboratoire les compare à ses données. Nous réalisons également des mesures en utilisant des standards connus (certains sont internationaux et certains nous sont spécifiques) qui sont traitées de la même manière que l'échantillon inconnu de nos clients. Nous avons participé à toutes les «inter-comparaisons» qui ont été menées jusqu'à présent. ». Selon Mike Sim et le rapport ci-dessus, la plupart des laboratoires et la plupart des résultats tombent dans une gamme cohérente acceptable. Il y a quelques valeurs aberrantes, bien sûr, mais ils sont, statistiquement, rares. De mon expérience personnelle, la seule fois ou j’ai fourni le même échantillon à deux laboratoires différents, les résultats ont été identiques.

Y a t’il une différence de résultats pour les marchands?

   Le processus utilisé pour les marchands est exactement le même que pour les musées, les anthropologues, les géologues, etc.

L’une des réclamations la plus étrange de la part des sceptiques serait que les marchands obtiennent des résultats différents de ceux obtenus par des universitaires ou les musées. Certains ont même suggéré que les marchands sont en mesure d'acheter des résultats positifs! Abordons cette première revendication: l'utilisation du même processus par les marchands est exactement le même processus que pour les musées, les anthropologues, les géologues, etc. Les échantillons sont prélevés de la même manière et le test se fait dans les mêmes laboratoires. Les résultats sont identiques, indépendamment de celui qui a initié le test ou de leur motivation pour le faire. Tous les marchands que je connais sont aussi intéressés d’obtenir des résultats honnêtes que les universitaires. Pour maintenir la "chaîne de preuves", confirmant que l'échantillon testé provient bien de la pièce en question et que l'échantillon a été prélevé correctement, un tiers qualifié effectue la procédure. La meilleure solution est d'avoir un membre du personnel du laboratoire de radiocarbone ou un conservateur de l'un des musées locaux pour prendre l'échantillon. À quelques exceptions près tous mes collègues prennent des dispositions pour prélever les échantillons de cette manière.
Certes, certains collectionneurs et marchands ont mal interprété les données et ont eu une conclusion erronée en penchant généralement pour la date la plus ancienne possible, mais ce n’est pas la faute du laboratoire ou du processus de datation au carbone. Il est important d'examiner le résultat complet du test, y compris la courbe d'étalonnage, pour parvenir à une bonne interprénation. La deuxième réclamation est tellement insultante et ridicule qu'elle mérite à peine notre attention, mais au cas où! Aucun membre du personnel d’un laboratoire radiocarbone, ni aucun marchand, à ma connaissance, ne va risquer sa réputation et sa carrière pour manipuler le processus d'échantillonnage ou les résultats.

Comment est-il possible que le bois dure si longtemps?

   Parce que le bois de fer est beaucoup plus résistant que d'autres essences, elle est favorisée par les sculpteurs dayak pour la construction des Longhouses, les supports de boite à ossements, les planchers, les panneaux, les échelles, les bardeaux de toit, ainsi que des statues de protection, les éléments décoratifs et les mobiliers des sanctuaires ancestraux, y compris les ossuaires et les reliquaires.

Brumes de la forêt tropicale humide au lever du jour. Haut-Mahakam. Copyright Bertrand Claude.

Il semble peu probable que le bois puisse durer très longtemps dans l’environnement d’une jungle si dure. En tant que produit non durable, il devrait s’éroder et pourrir lorsqu'il est ainsi exposé aux éléments au fil du temps. La réponse courte est, il le fait bien sûr. Si vous laissez des matières organiques, y compris le bois, exposés à la pluie et au vent, à la chaleur, aux moisissures, aux bactéries et aux insectes, le matériau se dégrade et la pourriture s’installe. Mais il y a des exceptions notables, notamment les conditions de conservation des objets fabriqués en bois de fer (ou feuillus similaires), un bois si dur et dense qu'il est pratiquement résistant aux insectes. Parce que le bois de fer est beaucoup plus résistant que d'autres essences, elle est favorisée par les sculpteurs Dayak pour la construction des Longhouses, les supports de boite à ossements, les planchers, les panneaux, les échelles, les bardeaux de toit, ainsi que des statues de protection, les éléments décoratifs et les mobiliers des sanctuaires ancestraux, y compris les ossuaires et les reliquaires. L'ennemi principal du bois de fer est l'eau, de sorte qu’exposé aux éléments, en particulier aux pluies régulières de la forêt tropicale humide, ce martèlement constant va lentement mais sûrement briser les grains du bois et éroder les surfaces des sculptures et des structures, généralement à partir du haut vers le bas. Ces objets "plein air" durent rarement plus de quelques centaines d'années et finiront par s’éroder de nouveau au contact du sol de la jungle.

À quelques exceptions près, le record de datation au carbone 14 soutient ce point de vue. La plupart des pièces de plein air qui ont été testées sont rarement âgées de plus de 300 à 400 ans. Et les quelques exceptions sont des objets placés dans des endroits plus protégés que d'autres pièces similaires (par exemple: sous les combles de la Longhouse), ce qui réduit l’exposition du bois aux conditions difficiles. La plupart des villages dayak et leurs structures funéraires sont placés le long de berges soumises aux inondations et aux coulées de boue. Il n’est donc pas étonnant que des objets tombent à l'eau. En cas d'exposition à l'écoulement constant d'eau de sable granuleux de la rivière, usant peu sur les surfaces avec le temps, les zones du bois les plus douces bordées par des grains plus durs s’éroderont plus facilement, traçant des sillons longs et profonds, souvent sur toute la longueur et sur toute la surface de l'objet. Beaucoup de ces artefacts sont finalement récupérés lorsque les rivières changent de niveaux ou de cours, ou bien lorsque l'eau baisse pendant les périodes sèches. De temps en temps, les pêcheurs récupèrent des objets anciens, accrochés dans leurs filets de pêche. On peut supposer que ce broyage constant détruit ces sculptures au fil du temps. Mais en combien de temps?

   Tom Harrisson, le premier conservateur du Musée du patrimoine à Kuching, a documenté des cercueils en bois ayant une forme de bateau vieux d'environ 1000 ans dès les années 60.

 

Vue de la grotte de Niah, Sarawak, Bornéo. La présence humaine y est attestée depuis 40 000 ans. Tom Harrisson effectua des fouilles archéologiques dès les années 50. Copyright Starlightchild/Wikimedia

Ce que nous constatons, par la datation au carbone 14, c’est que la majorité des bois érodés, les "morceaux de rivière », qui ont été testés semblent tomber dans une gamme moyenne d'âge d'environ 100 à 300 ans avec un maximum de 500 ans. En se basant sur le temps qu'il faut pour éroder une sculpture en plein air, je crois que cela est une fourchette raisonnable d’ancienneté pour les objets en bois extrêmement durs trouvés dans ces conditions. Qu'en est-il des sculptures en bois de fer récupérés dans des endroits très protégés tels que les grottes sèches ou les corniches des falaises, ou bien recouvertes ou enfouies dans la boue des rivières (non soumis à la mouture constante de l'eau graveleux)? Exempt de contact avec un plus rude environnement et les attaques d’insectes, on peut logiquement supposer que ces sculptures survivent plus longtemps. Et bien sûr, le dossier des datations au carbone 14 soutient ce point de vue. Les résultats des C14 sur ces objets fournissent des dates très lointaines et, dans la plupart des cas, sont cohérentes au sein de styles anciens spécifiques. Par exemple, il est maintenant courant d’obtenir 900-1 200 ans d’âge sur un type de sculpture archaïque, les gardiens de grottes funéraires (voir image de gauche). Comme on peut s'y attendre, pour un style un peu moins archaïque, avec un visage plus raffiné, les dates de carbone sont dans la gamme 600-900 (voir image à droite). Un autre groupe d’objets trouvés dans l'ouest de Bornéo, et découverts récemment (encore une fois trouvé dans des grottes ou enfouis dans la boue) reviennent avec des dates dans la gamme 2 000-3 500 ans. Il n’y a pas seulement un ou deux dates bizarres, mais des dizaines et des dizaines d'exemples, avec des résultats de datation similaires pour des types d’artefact de style similaire. Et de plus en plus de résultats sont ajoutés chaque année à la base de données. Fait intéressant, il y a au moins une sculpture connue, appartenant à la collection du Yale University Art Museum, récupéré dans la boue d’une rivière à la fin des années 1970, et qui a été testé trois fois, par deux laboratoires, âgée d’environ 8 000 ans (je pense que cette pièce a été sculptée par les peuples pré-austronésiens).

Cette pièce a une surface naturelle évidemment ancienne et clairement n’est pas un vieux morceau de bois « re-sculpté ». Il a été récupéré directement par les dayaks avec l'aide d'un de mes collègues, bien avant que des datations au carbone 14 ne soient réalisées sur de l’art indonésien. Il ne fait aucun doute que la pièce est ancienne et susceptible d'être très, très vieille, de sorte que la date peut être exacte. Je sais que beaucoup sont sceptiques vis à vis de cette date et peut-être qu’une autre explication sera mise au jour, mais pourquoi ne serait-ce pas possible? Les peuples pré-austronésiens ont vécu à Bornéo il y a plus 40 000 ans et les peuples austronésiens (proto-dayak) semblent avoir migré vers Bornéo il y a près de 4 000 ans. Mis à part cette dernière série de tests effectués par des marchands d'art tribal, d'autres objets en bois très anciens ont été trouvés dans des grottes dans le nord du Sarawak et de Brunei dans les années 1950, 60 et 70 et datés au carbone 14 par Tom Harrisson, le premier conservateur du Musée du patrimoine à Kuching. Il a documenté des cercueils en forme de bateau vieux environ 1 000 ans, ainsi que d'autres fragments de bois et d’objets datant de plusieurs milliers d’années. En outre, ce scepticisme sur la façon dont les vieux bois peuvent survivre ignore les quantités de données acceptées sur des bois moins durables vieux de plusieurs milliers d'années qui ont été découverts en Egypte, en Chine et dans des tombes d'Asie centrale, sans parler des bûches de bois parfaitement conservées issues des tourbières et datés de 25 000 ans. Et les récentes datations au carbone 14 réalisées par des archéologues sur des pigments organiques échantillonnés à partir de peintures rupestres trouvés dans des grottes sèches de Bornéo, semblables à celles qui abritent les ossuaires en bois, affichent des résultats de près de 10 000 ans! Qu'est-ce qui est le plus durable, les pigments organiques ou les objets en bois de fer?

Est-ce que la date du bois correspond à la date de façonnage de la sculpture?

  Il est important de transférer l'esprit vivant de l'arbre dans celui de la sculpture avec un processus de sélection des arbres et un abattage ancré au sein d’un rituel.

Gche. Deux bucherons dayak travaillent le bois sur le lieu d'abattage.Gravure sur bois, 1910, d'après un croquis de H. H. Everett. Dte. Sépulture funéraire dayak généralement située à proximité du village.lithographie, Carl Bock, 1887. Copyright NYPL.

L'argument favori de ceux qui dénient la réalité des faits est la question du "vieux bois". Je ne peux pas vous dire combien de fois je l'ai entendu: «Vous savez, les tests ne datent que l'âge du bois, pas celui de la sculpture!" Il tombe souvent dans la conversation comme la carte maîtresse ultime; une déclaration qui, selon eux, discrédite l'ensemble du processus, un peu comme le cri des climato-sceptiques pour qui le réchauffement climatique est clairement un canular car il neige en hiver! Et ils semblent penser qu'ils sont les premiers à révéler cette grande vérité! Ma réponse: « Flash News! tout le monde qui utilise la datation par carbone 14 pour tester le bois le sait déjà et a abordé la question.». Toutes les informations que j'ai rassemblé indiquent que les artistes autochtones, ayant un accès facile aux arbres, utilisent le bois frais propre à sculpter des objets traditionnels. Cela est certainement vrai aussi sur l'île de Bornéo. Dans un environnement extrêmement riche en bois, les sculpteurs Dayak n’ont pas besoin d'utiliser un vieux morceau de bois pour créer un objet rituel important *. Premièrement, il est important de transférer l'esprit vivant de l'arbre dans celui de la sculpture avec un processus de sélection des arbres et un abattage ancré dans au sein d’un rituel. Deuxièmement, il y a un élément pratique: le bois de fer fraîchement coupé est beaucoup plus facile à sculpter, en particulier lors de la taille des détails. Sculpter un vieux bois de fer est extrêmement difficile car il est fragile et éclate facilement. Pour quiconque qui est familier avec le processus de sculpture sur Bornéo, il est clair que les objets en bois de fer sculptés traditionnellement (ou avec d'autres essences) sont façonnés uniquement à partir d'arbres coupés récemment; la date de la sculpture correspond alors à la date de la mort de l’arbre.
* Les seules exceptions je connais sont de petits objets trouvés, comme les racines des plantes ou des sections de bambou curieusement formées, et peut-être loupes de forme unique qui semblent avoir une forme anthropomorphe ou zoomorphe existant. Les dayak voient une qualité magique dans ces objets et améliore leur apparence avec un peu de sculpture. Je ne crois pas que quiconque à ce jour soit dérangé par le carbone 14 de ces objets.

Est ce que du vieux bois peut être utilisé par des sculpteurs contemporains pour tromper les tests?

   Il est très important de noter que la grande majorité des objets de Bornéo possédant des datations au carbone 14 très anciennes sont des pièces déjà acceptées comme authentiques et ayant été utilisées traditionnellement dans des temps reculés.

Jeunes filles dayak cherchant de l'or. circa 80. Au premier plan, une bille de bois perdue s'est échouée sur la rive. Gorgée d'eau, elle pèse plusieurs dizaines de tonnes et est dangereuse pour la navigation. photo Anton.Copyright Bertrand Claude.

Un autre angle pour le vieil argument du bois est que les sculpteurs contemporains utilisent de vieux morceaux de bois pour faire des « faux », de sorte que lors des tests de datations, ils semblent être des objets anciens. En théorie, il est possible qu'un bon sculpteur puisse créer un faux raisonnablement ressemblant à partir de vieux bois, qui pourrait passer pour « ressemblant » auprès d’acheteurs inexpérimentés. Mis à part la difficulté de tailler des pièces correctement dans un style traditionnel (ce qui est rarement réalisé par des artisans modernes), leur plus grand obstacle est alors de recréer une surface d'aspect naturel ancien et érodé sur des sections fraîchement coupées ou re-sculptés. Jusqu'à présent, je ne suis pas parvenu à trouver un « faux-bon » objet en bois de fer, réalisé par un faussaire qui a essayé de reproduire une surface naturellement érodée, qui soit indétectable. Quelqu'un m'a dit "ce que l'homme peut faire, l'homme peut faire un faux!" Je suis d'accord que les objets créés par l'homme peuvent être dupliqués. Par exemple les faussaires peuvent reformuler un style ancien de pigment puis peindre sur une toile ancienne pour créer une fausse peinture antique au look raisonnable. Ils peuvent être en mesure de faire quelques trucs pour simuler l'âge par fissuration de la peinture et par l'application de couches de poussière. La plupart de ces contrefaçons sont finalement détectées. Mais est-il facile à simuler ce que la nature fait au bois sur de très longues périodes de temps?

Quand aux sculptures en bois de fer, je trouve toujours très peu probable qu'un faussaire puisse réussir à dupliquer une ancienne couche d'aspect naturel de l'érosion sur une surface fraîchement retaillée. Malgré l'affirmation souvent répétée par certains marchands que cela puisse se produire, je dois encore voir un exemple probant. Il est très important de noter que la grande majorité des objets de Bornéo possédant des datations au carbone 14 très anciennes sont des pièces déjà acceptées comme authentiques et ayant été utilisées traditionnellement dans des temps reculés. Sans la datation au carbone 14, ces pièces n’ont jamais été soupçonnées, même par les marchands les plus sceptiques ou les collectionneurs. Et beaucoup de ces pièces ont été recueillies bien avant la flopée récente de datation au carbone 14 du bois indonésien et donc bien avant que les faussaires contemporains fassent même leurs premières tentatives modestes pour essayer de tromper le marché. À quelques exceptions près, ce sont les propriétaires qui ont initié la majorité de ces tests pour obtenir de meilleures estimations de leur ancienneté réelle sur des objets authentiques connus.

Est-ce que l’emplacement de l’échantillon prélevé sur l’objet affecte le résultat?

   Même si l'échantillon a été pris par erreur dans une zone plus près du centre, la différence d'âge ne sera pas si importante.

  Une autre question concerne l’emplacement sur l'objet où l'échantillon est prélevé pour les tests. Cette inquiétude est compréhensible et je la partage et la considère toujours. Il est généralement entendu que, quand un arbre pousse, son noyau interne (ou coeur) meurt et que la vie de l’arbre passent à travers les nouveaux anneaux extérieurs. Par conséquent, un échantillon prélevé dans la partie intérieure de l'arbre donnera une datation antérieure à celle d'un échantillon prélevé sur la partie extérieure de l'arbre. À chaque fois que possible, la grande majorité des échantillons sont volontairement retiré de la partie de la sculpture en bois qui représente la partie extérieure de l'arbre d'origine. En supposant que la sculpture ait à peu près la forme et le diamètre de l'arbre original sélectionné pour la sculpture, ceci pour un résultat plus précis. Sur l'île de Bornéo, le processus de sélection de l'arbre approprié ne considère pas, en fin de compte, la taille nécessaire du produit fini. En pratique, le choix du plus petit arbre possible est logique parce qu’abattre un arbre plus grand que nécessaire nécessite un travail supplémentaire inutile. Sur la quasi-totalité des sculptures de moyenne ou grande taille, ce processus est facilement observable. Ossuaires, panneaux, poteaux de soutien ou sculptures ancestrales sont clairement dans une même échelle que le diamètre de l'arbre originel. À quelques exceptions près, en prenant l'échantillon sur le point de l'objet le plus éloigné du point qui représente le centre de l'arbre, celui-ci donnera un résultat assez précis et qui se conforme étroitement avec le moment de la mort de l'arbre. Même si l'échantillon a été pris par erreur dans une zone plus près du centre, la différence d'âge ne sera pas si importante (voir ci-dessous). En mettant de côté les objets plus grands, il y a des petites sculptures dayak qui semblent être taillées dans le bois dur du cœur.

En supposant que ces pièces soient échantillonnées pour des datations au C14, il est théoriquement possible que les résultats soient biaisés et fournissent résultat plus ancien que la mort de l'arbre. J’ai considéré ce problème potentiel et ai rarement testé de petits objets, car je sais que je n’obtiendrai pas un résultat précis. Je dois aussi reconsidérer d'autres résultats fournis par des objets plus petits, car je ne sais pas dans quelle partie de l'arbre d'origine la pièce a été taillée. Je ne peux imaginer un scénario où un artiste dayak prends la section gauche sur un grand arbre en bois de fer pour façonner une sculpture plus petite avec le duramen. Parce que cette question revenait sans cesse, j’ai finalement pris le temps d'étudier le taux de croissance des arbres en bois de fer. En fait, cette information a été facile à trouver sur le web et plusieurs sources agricoles affirment que, dans des circonstances normales, le bois de fer pousse à une moyenne de 0.5 cm de diamètre chaque année. En utilisant ce taux de croissance, il faut environ 200 ans à un arbre pour atteindre un mètre de diamètre. Dans mon expérience, il est très rare de trouver des objets sculptés à Bornéo, y compris les piliers les plus massifs des Longhouses et des cryptes funéraires, les plus grands ossuaires ou les panneaux et portes plus larges, qui ont un diamètre de la largeur d'un mètre ou plus. Le plus souvent, le diamètre est seulement à ⅔ ⅓ de mètre. Par conséquent, en supposant que, normalement, un arbre ne dépassant pas un mètre de diamètre serait utilisé pour la majorité des sculpture ou des constructions, utiliser le duramen de ces arbres pour les petits objets donnerait un âge maximum additionnel d'environ 200 ans. Comme la taille de l'arbre est le plus souvent inférieure à un mètre et que l’objet sculpté dans le duramen est d’un plus grand diamètre que le point milieu, la différence est susceptible d'être de beaucoup moins que 200 ans. Cette variation n’est pas significative en particulier sur des objets datés plus que 500 ans.

Est-il possible que de plus vieilles substances organiques aient contaminé l’objet, faisant ainsi apparaître l’objet plus vieux au moment du test?

   Dans le cadre du processus normal de préparation, les échantillons sont nettoyés et purifiés de tous les matériaux non cellulosiques de sorte qu'il n'y ait que de la cellulose pure dans l'échantillon afin de garantir que le résultat obtenu est uniquement l'âge du bois.

Un hampatong mis à sécher quelques heures après son émersion d'une rivière. Apokayan, Kalimantan Est, Bornéo, Indonésia. Circa 2005. photo Anton. Copyright Bertrand Claude.

J’ai entendu quelques sceptiques pour certaines dates, en particulier sur des objets qui ne semblent pas trop vieux ou qui ont un style jusqu'à présent supposé être plus tardif, affirmer qu’elles doivent avoir été contaminées par des matières organiques plus anciennes, ce qui a faussé les résultats, et par conséquent donne une pièce plus ancienne. Ils croient que le bois a absorbé des matières organiques plus âgées (par exemple, lorsqu'il a été enterré dans de la boue). J’ai posé cette question au chef scientifique du Rafters Lab, Christine Prior. Elle m'a répondu que dans le cadre du processus normal de préparation, tous les échantillons sont nettoyés et purifiés de tous les matériaux non cellulosiques. Ils font en sorte qu'il n'y ait rien que de la cellulose pure dans l'échantillon, garantissant donc que le résultat est celui de l'âge du bois et non pas celui d'autres matières organiques qui peuvent ou pas avoir été présentes au préalable. La partie du processus est une double vérification afin d’être absolument sûr que l'échantillon est pur à 100%. Il est peu probable qu'un échantillon soit contaminé, entraînant une date ultérieurs.

Pourquoi autant d’objets en provenance de Borneo ont-ils des dates aussi anciennes?

   Finalement d'autres confrères ont aussi commencé à tester au C14 leurs propres exemplaires, et bien sûr ils ont obtenu des plages de dates similaires aux nôtres.

Une bonne question à laquelle il est facile de répondre. La majorité des pièces en bois sélectionnées à l'origine pour la datation au carbone 14 pour cette dernière série de tests sont d’un petit groupe de style archaïque de Bornéo récupérés dans des grottes. Mon ami et collègue Tom Murray a pensé qu'il serait intéressant de vérifier les dates de sculptures de Bornéo en bois de fer après que Ruth Barnes (la conservatrice actuelle de la galerie Indo-Pacifique de l’université de Yale ) ait découvert qu'un textile indien du commerce, trouvé à Sulawesi, soit revenu avec une date 15-17e siècle de notre ère. Si un tissu de coton pouvait survivre si longtemps, pourquoi pas un sculpture de bois dense? En 1997, Tom avait déjà testé plusieurs sculptures dayak. Et certaines de ces pièces sont revenues avec des dates anciennes, y compris un résultat de 1000 ans pour une figure de gardien de grotte(du type indiqué ci-dessus à gauche). J'avoue avoir eu du mal à croire à ces dates au début, mais je me suis souvenu que des années plus tôt, j'avais lu plusieurs rapports (mentionnés plus haut) publiés par Tom Harrisson (l'ancien conservateur du Musée du patrimoine à Kuching) au sujet de ses datations au carbone 14 sur des artefacts en bois découverts dans des grottes du nord de Bornéo. J’avais éloigné cette information et pratiquement oublié ces rapports car je ne voyais pas la pertinence, à l'époque, pour les sculptures de Bornéo déjà sur le marché. Mon doute a tourné à la curiosité quand j'examiné ces rapports. J’ai donc décidé de tester plusieurs pièces de ma collection, en particulier celles qui étaient semblables à celles précédemment testées. Et bien sûr, j’ai obtenu les mêmes résultats.

Finalement d'autres collègues ont aussi commencé à tester leurs exemplaires et ont également obtenu des plages de dates similaires. Il est rapidement apparu que les statues en bois de fer, d’un style archaïque spécifique ces chiffres ironwood rupestres, seraient probablement testées très anciennes. Sur la base des résultats précédents, la grande majorité des pièces supplémentaires sélectionnées pour les tests étaient d’un style archaïque similaire et provenant également de grottes, de la boue des rivières, ou d'autres sites potentiellement protégés. Et comme les dates étaient souvent similaires, la courbe d'âge s’est naturellement décalée vers les premiers résultans. Finalement, d'autres morceaux de bois, tels que les piliers extérieurs en bois de fer, des morceaux de rivière et d'autres figures sculptées à partir de bois moins durables ont été ajoutées avec des résultats ultérieurs attendus. Il est rare que quiconque soit prêt à s’embêter et à payer les frais pour les tests au carbone 14 pour plusieurs objets classiques, en particulier d'une valeur modeste ou ne paraissant pas plus vieux que le 19ème siècle. Évidemment, si nous testions chaque objet de nos collections, nous constaterions que la grande majorité ne serait pas plus ancien que le 19ème siècle et que beaucoup sont de la première moitié du 20e siècle. Depuis ceux d'entre nous qui ont fait des datations au carbone 14 ont concentré leurs efforts sur la recherche des pièces archaïques des dates anciennes probables (en fonction des résultats et de l'expérience précédente), et naturellement nous avons (et avons toujours) obtenu un taux beaucoup plus élevé de résultats avec les tranches d'âge ancienne.

Comment les datations au carbone 14 devraient être utilisées par le marche de l'art tribal et les universitaires?

  Je trouve la datation au C14 utile pour estimer l'âge probable d’une pièce pour laquelle l'âge n’est pas, visuellement parlant, évident.

Nous devrons envisager la datation au carbone 14 juste comme un outil dans la boîte à outils de la recherche. Nous vendons de l’art, pas l'âge, de sorte que l'accent doit toujours être mis en premier sur la qualité et la rareté de l'objet, en deuxième sur sa condition, et enfin sur son âge estimé. Mais lorsque l'on considère son âge, je trouve que la datation au carbone 14 est très utile pour clarifier les dates sur des pièces que nous assumons déjà comme authentiques et susceptibles d'être des premiers exemples. Je le trouve utile pour estimer l'âge probable d’une pièces où l'âge n’est pas évident visuellement. Et il peut aussi être utile lors du réexamen d'authenticité si un résultat revient avec un post "atomique de Spike" (1945 ou plus tard) lorsque vous vous attendez à une date antérieure. Les bonnes nouvelles sont: les résultats antérieurs à 1650 et postérieurs à 1950 sont raisonnablement précis. Les mauvaises nouvelles sont: les résultats dans cette fenêtre de 300 ans sont moins précis, donc toutes les informations supplémentaires, comme la provenance, les questions stylistiques, et l'examen de surface, sont nécessaires pour apporter plus de clarté aux dates prévues. Que cela soit dit, je suis pas non plus en faveur de prendre chaque résultat de carbone 14 à sa valeur nominale. Autant j'accepte la science et crois que beaucoup de ces sculptures dayak sont en fait assez vieilles (assez de réponses sont faites sur ce point), autant je pense que certaines anomalies potentielles doivent être reconsidérés. Il est possible que les résultats originaux soient valides, mais quand une pièce spécifique ne semble pas correspondre logiquement à une ligne temporelle, elle devrait être mise de côté pour recherche supplémentaire ou, à tout le moins, noter qu'il y a encore des questions. Comme indiqué plus haut, il y aura toujours quelques valeurs aberrantes, mais cela ne rend pas la majeure partie des données inexactes.

Par exemple, comme mentionné ci-dessus, il y a plusieurs pièces récemment datées par C14 qui sont revenues avec des résultats de très grande ancienneté, environ 2000 à 3500 ans. La majorité de ces objets proviennent du nord-ouest de Bornéo. Ce qui est parfaitement logique, car cette zone serait un point d'entrée pour les peuples austronésiens en provenance de l'Asie du Sud-Est (l'autre point d'entrée serait la pointe nord-est, près de la pointe sud des Philippines). Les théories académiques actuelles supposent que les austronésiens ont commencé leur migration vers l'extérieur de l'île de Formose et le sud de la Chine vers le Pacifique occidental il y a environ 5000 ans. Ils ont pu facilement atterrir sur des côtes de Bornéo peu de temps après. Donc, ces dates correspondent bien à une période de temps où les «proto-dayak » ont migrer à travers la région. Mais, chaque morceau de ce groupe archaïque ne semble pas aussi ancien ou bien possède une iconographie aussi archaïque. À mon avis, il n’est pas clairement établi qu’elles correspondent bien à cette ligne de temps. Peut-être qu’elles le sont, mais jusqu'à ce que je trouve plus d'informations qui corroborent cette iconographie précoce, je reste ouvert à la discussion. Dans un autre exemple, des études du peuple dayak Kayan (Kayan, Bahau, Modang, etc.) indiquent qu'ils sont arrivés sur la côte nord de Bornéo (près de l'actuel Brunei) il y a environ 1000 à 1500 ans, puis ont migré dans l'est de Kalimantan. La grande majorité des résultats des datations au carbone 14 sur leurs objets, testé jusqu'à présent, rentre très bien dans une ligne de temps raisonnable et logique conforme à leurs habitudes migratoires et à l'évolution observable des styles, des surfaces et des conditions dans lesquelles ils ont été trouvés.

conclusion:

  Les données obtenues par les datations au C14 montrent que certains styles semblent en précéder d'autres, et que chacun de ces styles se regroupe souvent à l’intérieur d'une même période de temps. Cette nouvelle conjecture ouvre de nouvelles discussions sur les origines des styles antérieurs.

Peu importe comment les c14 sont utilisés dans le marché de l'art tribal, ces résultats jettent la lumière sur une ère de l’art dayak qui était inconnu jusqu'à très récemment. Pendant des années, on a supposé que ces sculptures dayak n’étaient pas plus âgés que de quelques centaines d'années, au mieux. Le mantra était "il n'y a pas de sculptures en bois, même en bois de fer, qui puisse durer aussi longtemps dans l'environnement de la jungle!" Cela a conduit à la conclusion erronée, et désormais illogique, que les larges gammes de styles artistiques aux surfaces érodées que nous voyons aujourd'hui, sont venues en quelque sorte à propos et co-existaient seulement après le 17 ou 18e siècle! Nous savons maintenant que des types spécifiques de pièces avec des types spécifiques de surfaces, récupérées à partir d'emplacements spécifiques protégées (grottes, corniches, ou enfouies dans la boue de rivière) sont en fait beaucoup plus vieux que nous avions pensé. Et les données indiquent que certains styles semblent en précéder d'autres et que chacun de ces styles se regroupe souvent à l’intérieur de périodes de temps similaires. Ces nouvelles données ouvrent de nouvelles discussions portant sur les origines des styles antérieurs de la même manière qu’elles l’ont développée antérieurement vers ce que nous connaissons aujourd’hui. J'aurais pensé que la plupart des collectionneurs d'art, des marchands et des universitaires, généralement bien instruits et gens de ce monde, sont attentifs à la science, mais il semble qu'il y ait une poignée de sceptiques au sein de la communauté de l'art tribal qui croient que la datation au carbone 14 de bois est un tour de magie destiné à tromper les collectionneurs naïfs ou bien, que si horriblement viciées leurs résultats soient dénués de sens. Tout comme il y a des négationnistes du changement climatique, ce petit, mais de plus en plus vociférant, groupe d’anti-datations au carbone 14, soit ne comprennent pas, soit ils choisissent de dénaturer le processus. Ridiculement, quelques-unes des critiques les plus virulentes proviennent des marchands qui louent les dates de carbone 14 sur leurs propres pièces, puis ils condamnent hypocritement des dates similaires sur les objets de leurs concurrents. Ils ne peuvent pas avoir les deux!

Je rencontre et fait face à ces critiques anti-scientifiques de temps en temps et franchement leurs arguments négatifs ne tiennent jamais en place car ils sont souvent basés sur des opinions manifestement biaisés et des preuves non factuelles (ce qui ne les empêche pas de continuer à les utiliser). Il n'est pas toujours clair de savoir pourquoi ceux-ci sont obsédés par la discréditation de ce processus scientifique car quelques-uns de ces négationnistes semblent accomplir une mission quasi-religieuse pour condamner l’utilisation de la datation au C14 pour l’art tribal. Il a été suggéré que ces nouvelles données devaient être minorées, car elles bouleversent les hypothèses précédemment acceptées, et donc créent la confusion dans les études actuelles sur l’art dayak. Quel est le problème avec la révision de nos points de vue lorsque de nouvelles données sont disponibles? De nouvelles découvertes ont toujours changé la façon dont nous regardons le monde. Le Soleil ne tourne pas autour de la Terre, la Terre n’est pas plate, l'Univers n'a pas été créé en six jours, les humains existent depuis plus de 6000 ans et quelques sculptures en bois dayak sont âgées de plus de quelques centaines d'années. Nous ne devons pas craindre ces découvertes, mais embrasser leurs possibilités.

Mark Johnson

Traduction: Bertrand Claude