ITINÉRAIRE
La forêt est un refuge. La forêt effraie. Elle cache des secrets, des secrets de vie. Des peuples y habitent, des groupes pourchassés y trouvent refuge, des âmes solitaires s’y isolent. Des artistes, des guérisseurs, des chamans y trouvent leur inspiration. La forêt accueille, la forêt nourrit, la forêt chante, la forêt nous parle.
Je devais avoir 7 ou 8 ans lorsque mon grand-père, miraculeusement sorti vivant de Grande Guerre, m’emmena profondément dans la forêt avoisinante au village. En fin d’après-midi, alors que le soleil automnal disparaissait derrière les frondaisons, il se perdit! Au pied d’un grand chêne, il alluma un feu, agrémenta les restes de notre déjeuner de quelques champignons, et me raconta une histoire jusqu’à ce que je m’endorme dans sa grande cape de laine. Au petit matin, après nous être réchauffés devant les flammes réanimées des braises de la nuit, il retrouva son chemin. A la maison, ma grand-mère s’activait à ses tâches quotidiennes sans aucune inquiétude. Depuis, la forêt a toujours été pour moi un refuge, un toit végétal qui protège, nourrit et fait rêver.
crédit photo: Rosmarie Voegtli via Flickr.com, License by Creative Commons
C’est lors d’un voyage de plusieurs mois en Asie du Sud-Est, au début des années 90, que la forêt de Bornéo exerça sur moi son attraction. Pontianak et ses célèbres couchers de soleil orange à l’équinoxe d’Automne fut ma première étape. Puis, sans le savoir, je suivis les traces de Niuewenhuis, explorateur hollandais du 19è siècle, en remontant la Kapuas jusqu’au dernier village, puis en traversant les Monts Müller pour rejoindre le Haut-Mahakam. De ce périple de plusieurs semaines parmi les peuples dayak, envouté par la splendeur de la forêt pluviale, je rapportais d’émouvants souvenirs, quelques bribes d'indonésien, et quelques objets d'art glanés de ci, de là, au cours de ce périple. A Paris, je rencontrais celui qui allait devenir mon mentor, Anthony Plowright. Grand connaisseur de l’Art Indonésien, et spécialement celui de Bornéo, il m’ouvrit sa bibliothèque et m’éveilla aux merveilles de cette région du monde au cours de soirées tardives à contempler des cartes.
Itinéraire de Willem Nieuwenhuis, premier explorateur européen à traverser Bornéo d'Ouest en Est, 1896-97. Source: Library of Congress. USA
Durant près de deux décennies, je résidais plusieurs fois par an dans des villages de Bornéo, principalement dans les montagnes du centre de l’île. Remontant les principaux affluents de la Mahakam en pirogue, parcourant les chemins des forêts de l’ApoKayan et des monts Müller, participant aux chasses et aux cérémonies des autochtones, croisant quelques rares touristes égarés, je me passionnais de ces mystérieux peuples des forêts sortis du fond des âges. Au début des années 2000, je m’installai à Bali. J’y rencontrai Taty Sumyati avec qui j’allais travailler de nombreuses années. En sa compagnie, je découvris tous les arcanes indonésiennes du marché des antiquités et visitai nombre de régions de cet immense archipel qu’est l’Indonésie. Pendant plus de vingt années, j’éprouvai la sensation de voyager à travers le Temps. L’histoire de l’Indonésie, de ses peuples, de ses civilisations, de leur cultures et de leur cuisine, occupait tout mon temps. Ce sentiment, imprégné de l’idée que j’étais le témoin d’un changement profond et irréversible de ces mondes, se ravivait à chaque retour d’Europe avec l’odeur si caractéristique des kreteks qui peu à peu s’estompait du hall d’arrivée de l’aéroport, aspirée par la mondialisation en cours.
Ce blog est dédié aux hommes et aux femmes de Bornéo, d’Indonésie et d’ailleurs, qui m’ont apporté leur soutien, leur connaissances et leur amour. Que la mémoire de ces rencontres, de ces amitiés de toutes cultures, trouve ici son brin d’éternité numérique.