formes art kayan

FORMES D'ART KAYAN


La face de « monstre »

  ...considéré comme un puissant esprit protecteur qui repoussera vigoureusement tant les ennemis naturels que surnaturels...

Ce motif se compose généralement d'un visage en forme de cœur, avec de grands yeux ronds écarquillés, une bouche en forme de losange ou d'ovale avec une dentition apparente, quatre crocs et un grand nez. De multiples versions possèdent des oreilles aux lobes distendus. Il est considéré comme un puissant esprit protecteur qui repoussera vigoureusement tant les ennemis matériels que surnaturels. Il est possible que ce motif représente un esprit du tonnerre. Il est souvent sculpté sur les extrémités d’importants sanctuaires ancestraux, sur des panneaux, des portes et autres éléments architecturaux. Non inclus dans ce volume, on trouve également la tête de ce monstre sur des objets utilitaires tels que des planches de travail, des boîtes à tatouage, des fendeurs de rotin et sur les poignées de différentes sortes d'outils. L'utilisation la plus commune, et reconnaissable par son plus grand nombre sur le marché de l'art, est celle que privilégiaient les aristocrates d’un village en peignant cette tête frontalement sur leurs boucliers de guerre.


Introduction 1
Portrait de studio d'un Dayak en tenue de combat. 1900–1940. Tirage photo sur papier. 5.4 x 3.9” / 13,6 x 9,8 cm. Photographe inconnu. Tropenmuseum, Amsterdam, inv. TM-60033041.

Introduction 2
Guerrier et son bouclier, culture Kayan. 1924-1932. Epreuve argentique à la gélatine, 11 cm x 8,5 cm Tropenmuseum, Amsterdam, inv. RV-A440-LL-92.


En regard des datations au 14C effectuées et actuellement disponibles, les représentations animales évidentes apparaissent rarement dans le champ pictural Kayan antérieurement au XVᵉ/XVIᵉ siècle. Postérieurement, à contrario, apparait une pléthore de figures animales, y compris des formes simiesques, des motifs de calao et les omniprésentes images d’Aso (parfois représentées sous forme d'Asu). Il semblerait logique que les proto-Kayan qui ont émigré d'Asie continentale aient eu des liens avec des motifs animaliers, en tant que symboles de protection et/ou de statut, et ces motifs existaient peut-être déjà autrefois. Mais à l'heure actuelle nous ne disposons guère d’éléments pour l’affirmer.


Le Calao bicorne, Buceros bicornis

  ...messagers des dieux du monde supérieur...

Ce magnifique oiseau majestueux, avec ses longues plumes de queue noires et blanches et son chant unique, est déifié par la quasi-totalité des groupes Dayak de l'île de Bornéo. De nombreuses espèces d'oiseaux sont considérées comme les messagers des dieux du monde supérieur, mais aucune n'est aussi sacrée ni aussi admirée que le calao. Leurs plumes ornent les casques de guerre, les tuniques et les sabres des « chasseurs de têtes ». Sur un rythme de transe, femmes et hommes le représente en dansant et en brandissant des ballots de ses longues plumes. De délicats ornements d’oreille sont sculptés dans leur casque frontal ou échangés en aval vers le marché chinois, qui les utilise pour fabriquer des bouteilles à priser aux décors magnifiquement sculptés.


formes danse

Danse rituelle dans une longue-maison. La danseuse tient un bouquet de plumes de calao dans chaque main.
photo Georges Bourdelon, Bivouacs à Bornéo, Falmmarion, 1963


L'Aso

  ...l'un des symboles les plus puissants utilisés pour signifier le statut élevé des familles nobles les plus puissantes...

De tous les motifs animaliers qui apparaissent dans l'art Kayan, l'Aso est le plus énigmatique. Dans son étude de 1905 « The Dog-Motive in Bornean Art » (Journal of the Royal Anthropological Institute, no. 35), Ernest B. Haddon suggère que l'image de l’Aso représente un cochon, un animal souvent sacrifié rituellement. D'autres prétendent qu'il représente une crevette, un scorpion ou un dragon. Le terme signifie littéralement « chien » dans la langue Kayan et dans certains cas l'image sculptée ou peinte ressemble effectivement à une créature semblable à un chien avec un museau sur-dimensionné. Il est courant dans la plupart des publications sur l'art Dayak d'étiqueter l'Aso comme un chien-dragon, ce qui indiquerait peut-être que la créature possède des attributs de ces deux animaux. Les chiens ont une grande valeur dans la société Dayak, car ils participent à la protection du village et sont indispensables pour la chasse. Cependant, ils ne sont pas pour autant traités avec égard et lorsqu'ils meurent, ils sont souvent considérés comme des déchets. Compte tenu de cette ambivalence, il semble peu probable que cet animal domestique commun ait été choisi pour signifier le statut élevé des familles nobles les plus puissantes et, à ce titre, être l’un des motifs les plus représenté de l’art Kayan.


Introduction 1
Poutrelles de charpente du compartiment d'un chef. Avant 1958. P. Ivanoff, Headhunters of Borneo, Jarrolds Publishing, 1958.

Introduction 2
Sculptures sur le mur de la galerie d'une maison de Long Ula, Klemantan, Baram District. Charles Hose and William McDougall, The Pagan Tribes of Borneo, volume I, MacMillan and Co., Ltd., London. 1912. Plate 124 (facing page 230)


Différentes versions du motif du dragon sont peut-être arrivées à Bornéo avec des proto-Kayan, si on présume qu’ils sont originaires de Chine continentale. Mais quoi qu'il en soit, les Kayan ont certainement eu connaissance de cette iconographie du « dragon » par les contacts réguliers entretenus avec les commerçants chinois et ceux d’autres régions du sud-est asiatique. L’aristocratie Kayan a facilement perçu l’importance de la signification mystique de ce motif et son héritage impérial, ainsi que les avantages politiques de l'adoption de ce symbole pour leur propre usage. De ce fait, il semble raisonnable d'affirmer que le terme Aso ne se réfère pas uniquement à l'image d'un chien ou de toute autre créature indigène mais fait explicitement référence à celle du dragon. Cette confusion peut provenir de la conventionnalisation de ce motif, et d'autres motifs similaires, au fil du temps, et qui aboutit finalement à un mélange d'images d'une nature qui n'est pas facilement compréhensible aujourd'hui. Peut-être y avait-il dans le passé des images distinctes de crevettes, de scorpions, de chiens et de dragons qui ont fini par évoluer vers des motifs suffisamment similaires au point de perdre leur individualité. Cette idée est soutenue par le fait qu'il n'est pas rare que les motifs soient constitués de plusieurs créatures, mélangeant souvent des parties d'un animal avec un autre (voir l'exemple 3 dans l'annexe « Décrypter l'art Kayan »). Il faut tenir compte du fait que le motif du dragon est une image puissante à ne pas prendre à la légère. Invoquer cet important esprit gardien du monde souterrain de manière incorrecte ou désordonnée provoquerait des ennuis. L'utilisation d’un terme local qui désigne un chien, un animal bienveillant, peut être une façon commode de décrire ce motif avec désinvolture sans encourir sa colère. Certains informateurs locaux décrivant des motifs de dragon à l'observateur novice ont peut-être utilisé ce terme pour contourner le problème.


Mark Johnson