AU TEMPS DES DINOSAURES

Depuis la dislocation du supercontinent Gondwana, il y a plus de 140 millions d’années, la formation géologique de Bornéo est une énigme. De nouvelles données scientifiques issues des dernières datations bousculent les idées reçues.

 
 

Cratère Ratu, Mount Tangkuban Parahu 2084m, Bandung, Subang, Java Ouest, Indonésie. Courtesy Donald O'Hare. Copyright jezohare.com.

De nos jours, Bornéo apparait, sur une carte géographique ou sur Google Earth, comme une forme compacte, arrondie, avec une extension aiguë au Nord-Est. L’absence de séismes majeurs et d’un volcanisme actif la fait ressembler à un grand bloc stable entouré de mers aux noms exotiques; mer de Java, mer des Célèbes, mer de Sulu etc. Mais cette bonhomie est trompeuse et c’est une gigantesque bataille entre les plaques tectoniques Eurasienne, Indo-Australienne et Pacific-Philippines, qui va, durant des dizaines de millions d’années, lui dessiner son particularisme géographique et poser des énigmes aux géologues du monde entier. S’il est fréquent que les ouvrages traitant de l’Asie du Sud-Est, de l’Indonésie en général et de Bornéo en particulier, parlent de mosaïques, voire de puzzle de cultures, de peuples et de langues, cette image s’applique parfaitement à la géologie de cette région de sorte qu’on serait tenté de voir dans ce particularisme le reflet de sa géodynamique, et vice-versa.

  La vacuité de notre connaissance de Bornéo apparaît plus remarquable lorsque nous la comparons avec l'exactitude et la minutie de nos informations en ce qui concerne les îles voisines de Sumatra et de Java!

- The physical features and geology of Borneo - Natural Science, April 1892 - by F. H. HATCH, Ph.D.

L’Asie du Sud-Est repose sur un vaste entremêlement de blocs tectoniques établis à la convergence des grandes plaques continentales Eurasie et Indo-Australie, et de la maritime Pacifique-Philippines. De ce fait, la formation géologique de cette partie du monde, y compris celle de la mer de Chine du Sud, a été, depuis le 19e siècle, un véritable casse-tête scientifique. Ces trente dernières années, malgré toutes les études réalisées par la recherche minière, gazière et pétrolière, la complexité de la géologie de l’Asie du Sud-Est, et de Bornéo en particulier, laissaient ouverte la voie à de nombreuses interprétations. Les données recueillies étaient souvent fragmentaires et sporadiques et les publications dispersées. Quand aux informations cruciales acquises par les compagnies pétrolières internationales et nationales lors de leurs prospections offshore, elles demeurent en majeure partie secrètes. Bornéo ne livre ses secrets qu’au compte-goutte!

Située à l’extrême Sud du continent Eurasien, l’archipel indonésien se caractérise par une intense sismicité et un volcanisme parmi les plus actifs de la planète résultant, entre autres, de la subduction (1) Eurasienne. En l’occurence, cette région est soumise depuis des dizaines de millions d’années aux rapports conflictuels que se livrent la plaque Indienne, la plaque Eurasienne, la plaque Australienne, et dans une certaine mesure, la plaque Pacifique. Et le résultat de ces interactions complexes se mesure par des progressions de plusieurs centimètres chaque année ! La formation de Bornéo a commencé il y a environ 150 Ma lorsque le super-continent Gondwana a commencé sa lente dérive vers le Nord, jusqu’à la marge de subduction de la plaque Eurasienne en se disloquant. Dans ce mouvement, la plaque Indienne se détache et entame sa progression vers le Nord durant le Crétacé (145 à 66Ma), passant à l’Ouest de Sumatra. Sa collision avec la plaque Eurasienne a lieu il y a environ 40Ma, au début du Cénozoïque. Il en résultera la formation du massif de l’Himalaya, toujours en cours d’élévation de nos jours, et une énorme déformation continentale de plus de 2500 km de long dont les effets se feront sentir sur tout le continent asiatique.

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Cratère du Kawa Ijen, Java Est, Indonésie. Copyright Bertrand Claude

Le scénario « classique » part du principe qu’à cette époque, Bornéo est l’éperon Est d’un plateau continental baptisé Sunda. Celui-ci, situé dans le prolongement de la plaque Eurasienne, relie Bornéo, Bali, Java, Sumatra et la péninsule Malaise, au continent Eurasien. Lors des très importants mouvements tectoniques qui vont s’étendre du Crétacé jusqu’au Miocène, Bornéo subit des chocs de diverses amplitudes. Ceux-ci développent des activités volcaniques temporaires, forment des massifs montagneux desquels vont s’écouler un très grand nombre de rivières. Les sédiments charriés vont se déverser dans les bassins situés à son pourtour, comblant les estuaires et favorisant la progression des terres et de la végétation. A la fin de la dernière glaciation, il y a environ 12000 ans, une brusque montée des eaux va submerger Sundaland et isoler Bornéo. Ainsi que l'indiquent les données paléo-magnétiques effectuées à l’Ouest de Bornéo, il est admis que cette région, au moins depuis le Jurassique (200 à 145 Ma), s’est toujours située près de l’Equateur et qu’elle aurait pivoté dans le sens anti-horaire de près de 90°, dont 50° au cours du Cénozoïque (66Ma à nos jours). Cette torsion, résutat de la progression de la plaque Australie au SE et de la plaque Pacifique au NE, va « plisser » la structure géologique de Bornéo dans un mouvement rotatif SW-NE. Ce mouvement est toujours visible sur une carte géographique portant des indications de reliefs. De même, pendant une grande partie de la période Tertiaire (de l'ordre de 65 à 1,6Ma), il y a preuve que Bornéo, la partie continentale de l'Asie du Sud et de Sumatra ont été reliés par terre. Le climat, à cette époque, est beaucoup plus saisonnier, contrairement à l’actuel, tropical et dont les caractéristiques sont présentes tout au long de l’année. Les animaux terrestres du continent, à la recherche d'un environnement plus approprié, ont donc pu migrer et stationner librement du continent à Bornéo et vice-versa.

Bertrand Claude