CONTE D'UNE SCULPTURE DE BORNÉO À PARIS
« En dénigrant une authentique œuvre d’art, ce sont essentiellement des voleurs qui pillent l’histoire de l’art et la culture qui l’a produite ». Mark Johnson.
Bien que je collecte des objets d’art tribal depuis des années, je n’ai pas l’âme d’un collectionneur. J’aime vivre avec les objets collectés quelques mois, voire quelques années, mais j’éprouve aussi beaucoup de plaisir lorsque l’un d’eux s’en va rejoindre une autre collection. Aussi me semble-t’il évident que ce chef-d’œuvre poursuive sa route. Cette statue n’est pas sortie du limon d’une rivière après plusieurs siècles de sommeil précédés de quelques décennies d’usage rituel pour n’être admirée que par quelques amis lors d’un diner. Non! Cette sculpture est née de l’esprit et du travail d’un immense artiste Dayak. Elle est le reflet des croyances d’un groupe humain depuis longtemps disparu, l'unique témoignage de son existence sur terre, comme un éclat d’humanité surgit du passé. Sa destinée doit s’accomplir, et seule une grande collection est en mesure de l’accueillir. C'est au cours d’une discussion avec Alain Schoffel que je propose spontanément de la présenter à Parcours des Mondes. Judith Schoffel et Christophe de Fabry s’enthousiasment à cette idée. Les événements s’enchainent alors très rapidement. Nous sommes déjà mi-juin et il faut faire vite. Une nouvelle datation par C14 est réalisée. Un socleur lui fabrique une très belle assise. Un photographe la shoote comme une star, un livre de l'aventure scientifique est édité par la galerie et une annonce-presse expédiée mi-Juillet à Tribal Art Magazine. Nous attendons tous le vernissage de Parcours des Mondes avec impatience. L’été 2013 est ensoleillé. Le vendredi précédant l’ouverture de Parcours des Mondes, je suis invité par Matthieu Vidard à l’émission scientifique de France Inter, La Tête au Carré, pour y présenter l’ensemble des analyses scientifiques et leurs conclusions qui retracent l’histoire physique de cette sculpture, de l’abattage de l’arbre jusqu'à son émersion d’une rivière de Bornéo. Tout se passe bien…trop bien?
De gauche à droite. Le livre édité par la galerie Schoffel Valluet et le descriptif des analyses et de leurs résultats. L'annonce-presse parue dans Tribal Art Magazine, n°69, Automne 2013. Podcast de La Tête au Carré du 6 Septembre 2013. Copyright galerie Schoffel Valluet, Bertrand Claude, J-F Chavannes, France-Inter.
Lynchage à Paris: un gang condamne une sculpture de Bornéo lors de Parcours des Mondes. »
- titre de l'article publié par Mark Johnson sur son blog. Octobre 2013 -
Dès le Dimanche matin précédant l’ouverture de cette foire, Judith Schoffel doit faire face au vetting (1) emmené par Steve Alpert en présence de l’organisateur de la manifestation, Pierre Moos, et du directeur artistique de Tribal Art Magazine, Alex Arthur. L'accusation est très grave. Selon eux, il s'agit d'un faux. Balayant les preuves scientifiques publiées d'un revers de main, les membres de ce "jury" agressent «sauvagement» la galeriste qui se défend seule face à cette meute. L’ambiance ne ressemble alors en rien aux décors feutrés des galeries d’art, encore moins à une discussion entre gentlemen, mais plutôt à une foire d’empoigne. Concernant les arguments "techniques" développés par les leaders de ce vetting pour étayer leurs accusations, arguments répétés inlassablement par un certain nombre de marchands et personnes mal intentionnées, j'invite le lecteur à lire l’article de Mark Johnson publié sur son blog, The Tribal Beat, quelques semaines après cette manifestation et dont le titre est éloquent: « Lynchage à Paris: un gang condamne une sculpture de Bornéo lors de Parcours des Mondes. ». Notons que, contrairement à ce qu'affirme le règlement de cette manifestation, la statue ne sera pas retirée de l'exposition et aucun huissier ne se présentera à la galerie pour faire enlever la pièce controversée. À l'ouverture le mardi 10 septembre 2013, l'enthousiasme du public pour ce chef d'œuvre est immense malgré les sales rumeurs qui courent de terrasses de cafés en salles de restaurant, de trottoir à trottoir, d’une galerie à l’autre. Il court, il court, le furet….!
Cette sculpture aurait été achetée par un marchand américain, à Bali, pour quelques milliers de dollars, puis revendue à Alain Schoffel quelques mois plus tard pour une autre poignée de milliers de dollars.
Je dois ici mentionner l'une des plus folles d’entre elles car elle illustre à quel point la jalousie et la vanité peuvent engendrer la bêtise la plus vile. Selon un commentaire publié par Mathieu Soulas sur un blog belge, non censuré par l’administrateur responsable de la publication, ce qui le rend complice, cette sculpture aurait été achetée par un marchand américain, à Bali, pour quelques milliers de dollars, puis revendue à Alain Schoffel quelques mois plus tard pour une autre poignée de milliers de dollars (ça ressemble à un western spaghetti!), qui, "après l'avoir travaillée longuement sans succès", aurait essayé de la vendre à Parcours des Mondes pour une somme astronomique (sic!). Outre que ce mensonge est une insulte à la probité et à l’expérience d’Alain Schoffel (+ de 50 ans de métier), imaginer que celui-ci puisse reporter sa responsabilité sur sa fille Judith, pour écouler consciemment un « faux » lors d'une manifestation d’art tribal, là où se côtoient marchands, collectionneurs et conservateurs du monde entier, relève, au mieux d’un esprit malveillant, au pire d’une imagination nécessitant un diagnostic psychiatrique. Comme vous l’avez découvert à la lecture de l’article précédant, Voyage dans les profondeurs du bois, Alain Schoffel a découvert cette sculpture en septembre 2012, chez moi, à Paris, quatre ans après son émersion d’une rivière de Bornéo. Et pour être franc, il aurait bien aimé l’acheter pour une poignée de dollars, moi aussi d’ailleurs!
Une des rumeurs rapportée sur un blog belge par Mathieu Soulas. La galerie Schoffel Valluet a obtenu quelques mois plus tard le retrait de ce commentaire car le contenu est diffamatoire.
Les oreilles de Bruce Carpenter ont tellement sifflé qu’il a publié un article incendiaire sur le blog de Pierre Nachbaur intitulé « Tribal Turf Wars - Parcours des Mondes 2013 -
Il me semble utile de préciser que le musée du quai Branly ne fait pas appel à des experts externes pour ses achats et qu'il ont à leur disposition le C2RMF pour effectuer leurs propres analyses scientifiques le cas échéant. Une autre rumeur remarquable de stupidité a pris sa source dans un petit coin du livre édité par la galerie Schoffel Valluet, « La vie dévoilée d’une œuvre d’art de Bornéo ». À la deuxième page de garde, en haut à gauche, il est mentionné B.C. collection. Ces initiales vont provoquer chez ceux qui mènent le complot une véritable chasse à l’homme. Tous pensaient savoir qui se cachait derrière ces initiales. Tous étaient persuadés de savoir qui était le propriétaire. N'est pas Hercule Poirot qui veut! Certains malins ont pointé du doigt Bruce Carpenter, une personnalité bien connue à Bali. Et bien entendu, les corbeaux du monde entier ont « mangé le fromage ». Les oreilles de Bruce Carpenter ont tellement sifflé qu’il a publié un article incendiaire sur le blog de Pierre Nachbaur intitulé "Tribal Turf Wars - Parcours des Mondes 2013" pour expliquer son point de vue sur cette cabale vide de sens. Car tous ces « cow-boys », selon les mots de Bruce Carpenter, ont joué les shérifs, tiré dans toutes les directions sans savoir tenir un revolver - au diable les victimes innocentes, tous coupables…! - au lieu de regarder paisiblement l’œuvre présentée, de lire les rapports d’analyses scientifiques et de se faire une idée par eux-mêmes.
De gauche à droite. Lettre de M. Guerreiro parue dans Le Monde du 7 Octobre 2013 et sur le blog de ce quotidien le 9 Octobre. La réponse des scientifiques parue dans Le Monde du Dimanche 12 Janvier 2014 et le 15 Janvier sur le blog.
les principales essences utilisées par les dayaks sont classifiées dures, semi-dures et molles. La première catégorie comprend l’Ulin, le Menggeris, le Selangan batu (Shorea sp.) et le Merang, toutes utilisées pour l’architecture et la sculpture. »
- Patong, la grande sculpture dei populi del Borneo, page 78. Antonio Guerreiro. 2008 -
Mais le bouquet final se trouve dans les archives du blog Le Monde des Lecteurs. L'un d'eux, Antonio Guerreiro, écrit à ce quotidien du soir en réponse à l’article de Philippe Dagen relatant Parcours des Mondes, et publié quelques jours plus tôt. Il y affirme que le bois utilisé, Shorea sp., n’est pas utilisé à Bornéo pour la statuaire. Or quelques années plus tôt, il écrit dans le catalogue « Patong La grande sculpture dei populi del Borneo », « les principales essences utilisées par les dayaks sont classifiées dures, semi-dures et molles. La première catégorie comprend l’Ulin, le Menggeris, le Selangan batu (1) et le Merang, toutes utilisées pour l’architecture et la sculpture. ». Contradiction pour le moins étonnante! Plus loin, ce monsieur analyse finement que, d’un point de vue stylistique, cette sculpture « évoque un curieux croisement entre Nosferatu et la terrible sorcière balinaise Rangda » et qu’elle relève d’un « imaginaire mondialisé ». Je renvoie ici le lecteur à ce que pense Bruce Carpenter de cette idée particulièrement farfelue (ici).Un peu plus loin, ce "connaisseur émérite" de l’Indonésie soutient que « cette sculpture atypique aurait été produite à Bali à partir de bois flotté, ….un processus qui prendrait plusieurs années….au sein d’un des nombreux ateliers qui excellent dans la fabrication de telles pièces ». Pour avoir habité en Indonésie, à Bali, je puis affirmer que cette idée est l’un des mythes les plus courants que j’ai rencontré, et que personne n’a jamais vu ces ateliers parce qu’ils n’existent pas (ici). Et pour conclure cette série d’informations à l’emporte-pièce et révéler sa grandeur d’esprit, cet homme met en doute la qualité du travail des scientifiques en écrivant: « quid de la datation et de l’appareil scientifique publiés sur le sujet d’une telle œuvre? ». À n’en point douter, ce « chercheur » a une très haute idée de la probité et de la compétence des scientifiques du CNRS - ces derniers apprécieront -. Quand à ceux qui ont travaillé sur cette œuvre, ils lui ont répondu dans ce même journal dans une papier intitulé "Compléments d'informations sur l'énigme d'une statue de Bornéo" ( voir ci-dessus).
Pour résumé toutes ces stupidités, je citerai une courte fable de Jean La Fontaine (1621-1695):
Certain renard gascon, d’autres disent normand
Mourant pressé de faim, vit au haut d’une treille
Des raisins mûrs apparemment,
Et couverts d’une peau vermeille.
Le Galand en eut fait volontiers un repas;
Mais comme il n’y pouvait point atteindre:
Ils sont trop verts, dit-il, et bon pour les goujats.
Fit-il pas mieux que de se plaindre?
Chacun connaît désormais la véritable histoire de cette découverte, et son parcours d’une rivière de Bornéo aux vitrines de Saint-Germain-des-Prés. Tout ce qui est raconté ici sont des faits documentés vérifiables. La comédie qui a été jouée cette année-là à Parcours des Mondes par certains des acteurs du marché de l’art tribal, c’est une cruelle absence de respect et de curiosité devant une œuvre qui questionne, interpelle, à contrario de l’enthousiasme des visiteurs de cette manifestation. Les sombres aspects de la nature humaine se sont déchainés contre des personnes de bonne foi et une statue extraordinaire. Les oripeaux du marché de l’art tribal ont été déchirés par ceux-là mêmes qui les portent sans qu’ils s’aperçoivent un seul instant que de la sorte, ils ont mis à nu leurs âmes moribondes et leurs esprits perdus au vu et su de tout le monde.
Je laisse la conclusion de ce conte à Mark Johnson dont l’honnêteté intellectuelle et sa passion pour l’art de Bornéo n’ont pas été pris en défaut au milieu de cette violente et exécrable tempête de haine et de jalousie et qui conclut ainsi l’article sur son blog:
« En dénigrant une authentique œuvre d’art, ce sont essentiellement des voleurs qui volent l’histoire de l’art et la culture qui l’a produite ».
 
1. Vetting: examen minutieux. Dans les manifestations d'antiquaires, jury d'experts chargé de contrôler la qualité des pièces présentées avant l’ouverture au public. Ceux-ci sont régulièrement sujet à caution car ils ne sont généralement pas composés de personnalités neutres dénués d’intérêt. Les membre du vetting de ce Parcours des Mondes 2013 sont: Steve Alpert, Pierre Amrouche, Johan Lévy et Edouard Klejman, accompagnés d’Alex Arthur de Tribal Art Magazine et Pierre Moos, président de Parcours des Mondes.
2. Dans la lettre qu'il adresse au Monde des Lecteurs, Antonio Guerreiro écrit: "...cette pièce monumentale de plus de deux mètres de haut, en bois dur ( Shorea sp., probablement l'espèce selangan batu), le plus difficile à travailler des bois de la forêt tropicale humide, et non en bois de fer (Eusiredoxylon zwageri), comme d'usage, pose problème. Ce bois sert essentiellement à réaliser des poteaux de maison et des charpentes, et non à la statuaire.